Les participants étaient allongés sur leur cheval respectif, la tête posée sur la croupe du cheval, pendant que la thérapeute les accompagnait dans la méditation par sa voix, de la musique en fond sonore. Après cette séance, nous installons des boudins au centre du manège, sur lesquels nous nous asseyons, pour faire un « débriefing », un tour de parole sur ce qui a été vécu et ressenti lors du rêve éveillé. Les chevaux sont en liberté dans le manège, un peu plus loin de nous, du même côté. Tous, sauf Butterfly, double-ponette blanche. Elle est tout proche de nous. Pour trois des participants, lorsqu’ils prennent la parole, Butterfly s’approche d’eux, approche sa tête des têtes des orateurs, les touche, leur renifle les cheveux, voire les « mâchouille ». A tour de rôle ils parlent, à tour de rôle Butterfly s’invite auprès d’eux et entre en contact, physiquement, tête de cheval sur tête d’humain. Les commentaires tournent autour des causes et des effets de cet évènement (les causes : Butterfly sent que telle personne en train de parler a besoin de sa présence donc elle s’approche, les effets : Butterfly apporte du réconfort, du jeu, du rire, un « cadeau »).
Je me trouve dans une impasse méthodologique. Comment retranscrire ce moment, comment l’étudier, le comprendre, m’en emparer ? Si je déblatère les faits : telle personne parle, Butterfly s’approche, lui mâchouille les cheveux. On en dit ça et ça. Telle autre personne parle, elle s’approche, lui mâchouille les cheveux, on en dit ça et ça, etc., c’est avec une certaine froideur que je trahirai l’émotion (émerveillement, incrédulité, rires, larmes aux yeux) de ce moment. Emotion des participants, émotion des encadrantes, et puis la mienne aussi, d’émotion. Ce sont ces émotions, de tous types et de tout le monde, activées par les actes de Butterfly, qui ont fait la saveur du moment. Quand l’ethnographie se doit d’embrasser l’affect, je pense que ce n’est pas contraire à un travail de faire science, c’est au contraire participer à documenter ce qu’il se passe quand des chevaux et des humains sont en présence dans un tel dispositif.
Par Alexia de Guibert